Abolir l’archaïque prescription des agressions sexuelles.

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Parmi beaucoup, d’autres, un politicien et un Cardinal absouts : l’un de ses actes, l’autre de sa passivité, par la grâce du temps qui passe.

Ce furent peut-être des décisions conformes à la loi mais moralement affligeantes et honteuses pour une démocratie moderne. Les victimes doivent ainsi vivre une humiliation qui perdure, avec l’idée que l’un et l’autre ne seront jamais inquiétés.

Dans notre pays, l’agression sexuelle, vite effacée, ne coûte pas cher à ses auteurs, ni à ceux qui les couvrent. On me dira que la carrière du premier est finie, qu’il est bien puni. Pas sûr ! D’autres dominants abusifs  lui offriront sans doute un moyen pour se retourner socialement et peut-être continuer de sévir. De toute façon, il est pleinement responsable de ce qui lui arrive. Le second poursuivit son ministère…

Les défenseurs de la prescription avancent plusieurs arguments principaux pour la justifier mais ils sont obsolètes ou irrecevables :
Avec le temps,

  • le « trouble » causé finirait par disparaître
  • l’auteur du crime ou de l’infraction peut se repentir ou s’amender…
  • La sanction n’a plus de sens au regard d’une situation désormais différente (âges des protagonistes, conditions matérielles, lieux de vie, tiers impliqués…)
  • les preuves sont progressivement effacées, les poursuites en sont rendues inefficaces
  • L’autorité publique doit assumer sa responsabilité dans la négligence des faits anciens.

Le trouble ne disparaît pas pour les victimes de violences.

Dans les cas d’un vol, d’une arnaque ou d’une infraction matérielle, les effets peuvent effectivement s’atténuer avec le temps, jusqu’à s’annuler parfois. Pour une atteinte à la personne, viol, violences, pédophilie…, ils ne s’évanouissent pas par enchantement. C’est souvent le contraire. Avec le temps, la souffrance s’installe, se cristallise dans des peurs profondes provoquant des désordres affectifs ineffaçables. L’agression génère des lésions aussi peu réparables que les blessures physiques causées par des accidents graves.

L’argument de la dilution du trouble est incongru pour les victimes qui ne peuvent s’en défaire tandis que leur agresseur mène légèrement sa tranquille vie de planqué intouchable. On rétorquera que dans certains cas, des victimes parviennent à oublier, voire à pardonner. Elles pouvaient faire ce choix.

Pourquoi, au nom de cette minorité, la loi devrait-elle imposer à toutes d’effacer d’abominables ardoises ? Seule la victime doit pouvoir décider d’abandonner ou non les poursuites. Car elle sait ce qui lui en coûte. Il convient de rappeler ici qu’il ne s’agit pas d’un banal conflit : les victimes n’était pas allées chercher leur agresseur !

Dans la période où ont lieu les évènements, la victime est toujours en situation de faiblesse, incapable de se défendre, psychologiquement et socialement dominée. C’est une caractéristique commune à ces situations. C’est aussi la marque de fabrique des ordures de toutes sortes qui instruisent et accomplissent sciemment leurs méfaits en repérant la fragilité de leurs cibles.

Bien plus tard, quand elle est parvenue à s’extirper de la dépendance, à s’affirmer, à se libérer de la peur, la victime pourrait enfin oser demander justice. Mais lors, la Justice, promptement complaisante avec la fripouille, se dérobe à sa tâche. En l’occurrence, elle fonctionne à l’envers de la réalité.

Une culture institutionnelle des restes du droit de cuissage

Ce ne sont pas les juges qui font les lois mais les députés. Qui sont donc ces mâles dominants (ultra majoritaires dans les assemblées) qui décident, selon quels critères, des délais où une plainte pour violence doit être rejetée ?

Il est vrai que les cohortes de machos bouffis de pouvoirs et d’arrogance ne risquent guère de se trouver du côté des victimes. Certains sont très clairement dans le camp opposé. Ils légifèrent soit par intérêt, soit par complaisance et plutôt en faveur d’une rapide amnistie de comportements qu’ils considèrent comme de simples incartades.

Allez, disent-ils, « il n’y a pas mort d’homme ! Si on ne peut plus rigoler… ! ». De nouveaux seigneurs de la République songent avec nostalgie à pérenniser les délices du droit de cuissage. A défaut ils pensent avec bienveillance aux « copains » qui ont su profiter d’une opportunité pour peloter telle ou telle dans les couloirs.

Certes, tous nos élus ne sont pas comme ça ! Mais que font les autres ? Rien ou pas grand-chose ! Très peu trouvent la volonté et le courage de porter des lois radicales pour faire enfin cesser cette ineptie. Ils laissent leurs collègues féminines s’en débrouiller seules face à l’inertie des écrasantes majorités sexistes et suprématistes des hommes suffisants qui détiennent presque  toutes les commandes.

Les brutes, les violeurs, les pédophiles savent profiter des lois en leur faveur.

Leur première habileté est de savoir cacher au monde leurs turpitudes, de se déguiser et même d’incriminer leurs souffre-douleur. S’inscrivant dans des échéances qu’ils manient parfaitement, ils se savent à l’abri. Leurs avocats se régalent d’interminables procédures leur permettant de contester les délais selon les dates de la découverte, la dénonciation, ou la reconnaissance des faits.

Pendant ce temps, la machine à déni remue les grands couteaux de l’ignominie dans les plaies rouvertes de victimes désormais victimes du système, de ses reculades et de ses atermoiements.

Contrairement aux autres crimes et délits, ceux-là sont tus, cachés, invisibles. Mais la loi ne prend pas en compte la durée des ténèbres pour fixer son échéancier. Les agresseurs comptent là-dessus pour rester impunis.

C’est même un facteur d’aggravation des sévices : il est parfois de leur intérêt de conserver la victime le plus longtemps possible sous leur dépendance afin d’obtenir l’extinction de de l’action judiciaire.
Aucune résipiscence n’est à attendre d’eux ; ces types de criminels sont insatiables, insensibles à la douleur des autres, aux dégâts qu’ils provoquent. En vieillissant, ils ne s’amendent pas mais peaufinent leurs protections.

La prescription est un encouragement, un facilitateur des violences.

Leurs auteurs savent par avance qu’ils seront  dans tous les cas, un beau jour, totalement dégagés de toute charge. Il leur suffit de tenir.

La promesse de prescription nourrit leurs intentions et renforce leurs stratégies. Elle libère leur élan de passage à l’acte. Elle fait de l’agression un pari ayant toutes les chances de réussir. C’est vrai dans l’immense majorité des cas.

Si la prescription était abolie, le jeu deviendrait plus compliqué. Le temps aidant, le risque d’être pris et jugé augmenterait considérablement

Une violence à la personne innocente ne mérite-t-elle pas une perpétuelle épée de Damoclès sur la tête du coupable ? On nous dit que certains ex saligauds se sont « rangés », qu’ils ont une famille (ils l‘avaient déjà la plupart du temps), qu’ils regrettent… Qu’on ne peut les punir  pour un crime commis un quart de siècle plus tôt. Les pauvres ! C’est bizarre : ils ne se sont pourtant pas dénoncés !

Les violeurs, les harceleurs, les psychopathes sont peu retenus par la menace de la peine encourue, mais il est probable que certains seraient plus circonspects en constatant la multiplication des condamnations tardives autour d’eux et  dans l’actualité. Aujourd’hui c’est le contraire : elles sont rarissimes.

La culture de la dominance et la mansuétude d’une  loi faite pour eux les poussent à oser. Il leur suffit de bien soigner leur affaire dans le secret le plus opaque. La non-prescription n’arrêtera pas les grands malades mais elle stoppera dans leur élan une bonne partie des agresseurs d’occasion, des obsédés « sociaux », des dominants de tous poils.

Le monde a changé, les preuves perdurent, il convient de les exploiter

Dans les violences aux personnes, les témoignages des victimes, matière essentielle, s’effacent moins vite que les preuves matérielles classiques. Pour les soutenir, les nouvelles technologies, dont les traces ADN, modifient profondément la durabilité des preuves et donnent accès à de nouveaux types d’éléments.

De la même façon, la démultiplication et la conservation des traces numériques permettent dorénavant d’accéder à des données déterminantes. L’argument de l’effacement inexorable des preuves est donc de moins en moins vrai d’un  point de vue objectif.

Ce n’est pas tout. Sachant que des preuves sont pérennes et que le crime ne pourrait être prescrit, de nouvelles victimes qui, il y a trente ans, n’auraient pas osé envisager une réparation ultérieure, peuvent cumuler des preuves en attendant de se sentir plus fortes pour affronter leur bourreau. La prescription tue leur espoir.

Les mœurs évoluant, les paroles se libèrent : celles des proches, des témoins, d’autres personnes impliquées qui peuvent plus facilement s’exprimer, profitant elles aussi du temps écoulé pour enfin soutenir les victimes. En réalité le temps favorise la révélation et la sérénité.

Gouvernances coupables

L’autorité publique, entendez les gouvernements qui se succèdent, joue sur l’usure pour se débarrasser du problème à moindre frais. Cela lui permet d’une part de ne pas remplir les prisons et d’autre part d’entretenir une insondable indulgence culturelle pour les abuseurs de toutes sortes, quasiment toujours des hommes.

La prescription exonère également  de toute forme d’ennui judiciaire les hiérarchies, les institutions,  les gouvernances. Elle est particulièrement adaptée à la très longue durée des positions de pouvoir des dirigeants qui se couvrent mutuellement, durant des lustres, des violences faites à leurs ressortissants par leurs « cadres », leurs prêtres, leurs représentants.

La non-dénonciation des agressions sexuelles par les hiérarchies devrait être traitée comme une complicité de fait, une invitation explicite à continuer, sanctionnée au moins aussi sévèrement que l’acte lui-même.

Savoir et ne pas alerter la justice est une circonstance aggravante car elle soustrait les auteurs à la justice et favorise  la démultiplication des actes dans l’ensemble du système gouverné.  Elle ne devrait pas non plus être prescriptible.

Vis-à-vis de ces crimes commis en leur sein, les organisations de toutes sortes, dites bizarrement « personnes morales », ne devraient avoir le choix, pour se positionner, qu’entre « donneur d’ordre » implicite ou plaignant aux côtés des victimes.

Solitudes  forcées, par l’agresseur et par la justice.

L’extinction automatique des lumières de la justice renvoie individuellement chaque victime à l’obscurité de la situation où l’a plongée son tortionnaire. C’est un autre effet pervers de la prescription : telle victime est déboutée pour être arrivée trop tard, quand la plainte de telle autre est recevable. Elles ont pourtant subi l’une et l’autre un préjudice identique !

Il y a des atrocités qui comptent et d’autres qui ne comptent plus ! Il fallait vous réveiller plus tôt ma chère, votre tour est passé ! La prescription produit une inégalité de traitement scandaleuse entre les victimes d’un  même agresseur ! Car celui-ci sévit souvent à la chaîne.

La clé de sa stratégie est précisément d’isoler ses proies physiquement, socialement et psychologiquement. Au moment d’entamer des poursuites, elles se retrouvent à nouveau isolées face à lui, ses avocats, la justice et leurs « anciennetés » différenciées. Lui, par contre, peut habilement segmenter ses conflits.

La fin de la prescription permettrait des actions de groupes de victimes de la même « bête ». Les plus fortes soutenant les plus fragiles et les aidant à prendre leurs droits en main en mutualisant les moyens de recours te de défense. Cela créerait les bases d’une situation nouvelle où les plus aguerries pourraient prévenir et empêcher les débuts du harcèlement dans certains cas.

Remettre la justice à l’endroit

Parallèlement, les inscriptions aux casiers judiciaires des condamnations pour ces sortes de délits et de crimes devraient rester plus longtemps indélébiles, sauf à ce que les victimes acceptent en toute conscience d’autoriser leur effacement dans certains cas.

Il s’agit d’empêcher l’accès des auteurs d’agressions à toutes les fonctions d’encadrement, de police, de surveillance et d’autoriser les organisations à leur refuser des postes de management ou d’activités sensibles auprès des enfants et des personnes fragiles.

L’abolition de la prescription serait aussi, enfin, un message fort en faveur des droits des femmes et de la réelle protection des enfants. Il faut donner à la personne devenue adulte toute la puissance nécessaire pour obtenir réparation des dommages subis par l’enfant  qu’elle a été.

Un débat télévisé entre les candidats sur la prescription et les droits des femmes ?

J’ai entendu plusieurs fois des candidats à l’élection Présidentielle dire qu’il seraient un(e) Président(e) résolument féministe. Bien ! Mais en tous cas, à l’issue du quinquennat qui s’achève, la prescription est toujours là.

2022. Les chaînes de télévision sont visiblement embarrassées pour réunir les candidats pour tout aborder pêle-mêle.

Ne serait-il pas plus malin et productif qu’elles les invitent, l’une après l’autre à débattre d’un thème précis ?
Un débat sur la place des femmes dans la société me semble indispensable. Elles constituent la moitié des électeurs  et tous les hommes sont concernés par leurs droits.