Vous avez dit « talent » ?

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Talent

Nouvelle locution à la mode dans les entreprises, utilisée à toutes les sauces RH et management, la notion de “talent” brasse une multitude d’acceptions quand elle ne se dilue pas dans un flou artistique.

A la décharge des entreprises de culture mixte, anglophone et francophone, cela est parfois dû à une confusion sémantique entre les acceptions française et anglaise du mot talent. L’acception anglaise étant plus large, plus variable contextuellement, elle domine et embarque l’autre, surtout dans les organisations qui revendiquent une dimension internationale.

Le mot, devenu «multiculturel» s’en trouve modifié et déteint abusivement sur les intitulés comme sur les discours en français.

Son usage étendu présente cependant des avantages : c’est une façon de valoriser en masse les spécialistes et les cadres supérieurs, en tant que populations. De leur faire savoir à peu de frais qu’on les tient en très haute estime.

Quelle que soit leur valeur individuelle réelle, ils font ainsi partie du groupe «des talents » méritant d’être pesés, soutenus et, éventuellement, promus.

Dans le droit fil de cette dérive, certaines organisations vont jusqu’à confondre tout simplement talents et aptitudes. Y compris en français. Il n’est plus nécessaire qu’il soit avéré, il suffirait qu’il soit pressenti, objet banal de supputations prospectives.

Qualificatif confortable, le mot talent s’applique alors comme un non-sens à des catégories toute-entières. Il fait désormais partie de la cohorte des innombrables formules détournées de leur signification réelle par le managérialement correct de la démagogie entrepreneuriale, qui affuble automatiquement des étiquettes de type bisounours au fronton des dispositifs les plus ineptes comme au front des managers les plus toxiques.

En être ou en avoir

Par essence, dans notre culture, le talent est plutôt rare, voire exceptionnel. A l’encontre d’une généralisation galvaudée, la notion mérite donc d’être redéfinie, recalée.

Le talent n’est pas une variable pouvant se décliner sur un curseur entre zéro et la perfection, comme le métier, la technicité, l’expertise, la compétence ou le savoir.  

On peut être un expert reconnu, être très compétent, avoir du métier ou être farci de savoirs sans avoir de talent. Il est donc d’une autre nature et/ou d’une autre dimension.Lire la suite

Les cinq autres dimensions de la compétence

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Une représentation très réductrice de la compétence prédomine encore largement dans le monde du travail.  Elle confond la compétence avec le savoir et/ou l’expertise purement technique relative à l’activité concernée.

Or, tout le monde sait que des « sachants » hyper pointus dans leur domaine peuvent se révéler être parfaitement incompétents dans la contribution professionnelle qu’on attend d’eux.

Les sous-titres

  • Confusion entre compétence et expertise
  • Les 6 dimensions de la compétence
  • Dimension opérationnelle
  • Dimension fonctionnelle
  • Dimension structurelle
  • Dimension relationnelle
  • Dimensions culturelle
  • Dimension hiérarchique
  • Démarches RH amputées
  • Recrutement et formation focalisés sur la technique
  • Management des compétences

Confusion entre compétence et expertise

La technicité ne suffit pas à la compétence, elle n’en est qu’un composant.

Une compétence est un “programme de conduite qui répond efficacement à une situation récurrente, précise, contextualisée, dans son intégralité.

Est compétent celui, qui déploie un comportement pertinent et efficace dans la réalisation d’une tâche ou dans le traitement d’un problème spécifique à son activité.
Cela signifie que :

  • sa conduite est adaptée à tous les paramètres de la situation,
  • son action est rapide, économe, optimisée,
  • il ajuste en temps réel son comportement aux variations et aux anomalies qui surviennent,
  • il est parfaitement autonome dans la réalisation,
  • sa pratique est conforme aux prérequis du métier et à la méthodologie de référence
  • le résultat de son activité satisfait les critères de performance définis pour l’objet.

Une compétence est en quelque sorte un fichier en mémoire, complexe, construit par l’expérience, que la personne peut exécuter à chaque fois que la situation se reproduit.

La technicité n’est  qu’un élément ressource de ce programme dédié. Il comprend nécessairement d’autres composants correspondant aux différentes variables du comportement professionnel mises en jeu.

Les 6 dimensions de la compétence

Ces variables sont de six natures :

  • opérationnelle
  • fonctionnelle
  • structurelle
  • relationnelle
  • culturelle
  • hiérarchique.

Pour chaque compétence répondant à une particulière, exprimée lors la réalisation d’un acte professionnel, on trouvera quasiment toujours à l’œuvre ces six dimensions.

Autrement dit, il n’existe pas de compétence strictement opérationnelle, qui ne fait appel à aucune des autres dimensions, ni de compétence purement relationnelle, et ainsi de suite.

D’une opération à l’autre, on constate des pondérations très différentes entre les six variables, mais il est rare qu’une d’entre elles soit totalement absente du programme comportemental.

On pourrait penser par exemple que pour la réalisation d’un tableau de reporting demandé par un manageur, il suffise de disposer des ressources techniques. Que les dimensions relationnelles, structurelles, culturelles et hiérarchiques n’ont pas grand-chose à voir là-dedans. Mais c’est exactement le contraire dans la réalité.

Dimension opérationnelle

Cette partie du programme mental régit les éléments de pratiques et de conduites s’exerçant directement sur l’objet de l’activité et sa technique. Il s’agit des composants de la compétence substantiellement liés à l’acte professionnel lui-même.

Par exemple,  elle permet à un vendeur de maîtriser la présentation de ses produits, l’organisation de ses tournées, la technique de vente, les entretiens avec les clients. C’est donc le domaine apparent de l’expertise et du savoir-faire.Lire la suite

PISA : l’école (encore et toujours) malade de ses mauvais profs et de l’incurie de sa gouvernance

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J’ai publié cet article pour la première fois en 2013. Neuf ans plus tard, rien n’a bougé ! Ou plutôt si, les distorsions se font nettement agravées avec le COVID…

Le tabou devait être brisé ! Tout le monde tourne autour du pot, y compris les journalistes.

Notre école est malade et on regarde partout pour en trouver la cause ainsi que le remède, dans les rythmes, les programmes, les moyens, les méthodes, l’évaluation, etc.
Mais personne n’ose mettre le doigt sur la raison essentielle de cette Bérézina : les pratiques pédagogiques et sociales d’une grande partie du corps enseignant sont globalement désastreuses. On le prend avec des pincettes, on le contourne, on louvoie, on ne peut plus du tout le mettre en cause. Au fil des ans il est devenu intouchable.

50 ans après, les mêmes.

Ça ne date pas d’hier. J’avais 15 ans en 1964. A l’époque, sur une vingtaine de profs dans mon bahut, il en avait un super, deux bons, deux très corrects, et le reste allait du cossard au fondu, en passant par le maniaco-dépressif, le dominant agressif un brin sadique, l’alcoolique notoire, le facho malade du pouvoir, les médiocres qui faisaient là du tourisme statutaire rémunérateur à défaut d’autre chose, le pseudo expert ou la foldingue surexcitée, etc.

En 2013,  mes deux gamins qui avaient 14 et 16 ans ne s’en tiraient pas trop mal. Me croirez-vous si je vous dis qu’un demi-siècle après-moi, ils subissaient, d’une année à l’autre, (trait-pour-trait)  le même bestiaire : de trop rares pédagogues, des techniciens laborieux, des très moyens diversement égocentriques, et une queue de comète de planqués, de mauvais, voire parfois d’imbéciles, de pauvres –types, de méchants ou d’incompétents ?

Si, deux choses ont changé ! Les sévices corporels ont quasiment disparu ; cela-dit, les sévices psychologiques n’ont pas régressé.

Et internet est arrivé. Avec quinze ans de retard, les profs s’y sont vaguement habitués. Les plus paresseux, qui de mon temps dupliquaient les mêmes polys pendant des décennies, ont découvert qu’ils pouvaient en faire encore moins.

Leur grand truc étant désormais de donner un devoir sous la forme de questions hors cours : aux élèves d’aller chercher les réponses sur le web. Eux-mêmes y trouvent d’ailleurs des cours et leurs supports tout faits.

Mais pour le reste, c’est-à-dire les conduites éducatives, les relations avec les élèves, la pédagogie employée, l’aide aux plus faibles, la pertinence de l’évaluation, rien n’a évolué !Lire la suite

La performance scolaire aux antipodes de l’emploi.

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Les jeunes adultes diplômés des grandes écoles sont de plus en plus nombreux à échouer dans leur recherche d’emploi. Auparavant, ceux qui sortaient brillamment de leurs études supérieures trouvaient relativement rapidement un emploi correspondant à leur niveau, dans leur cadre d’orientation.

Désormais, seule une infime minorité peut vraiment compter sur son classement au sommet des concours pour obtenir une embauche quasi automatique, leur permettant de se projeter dans un job prestigieux.

Galère

Pour tous les autres c’est la galère. Peu s’en sortent comme ils le souhaitaient.
Certains disposent pourtant d’emblée de contacts qualifiés, propulsés par les réseaux familiaux de parents installés. Ils peuvent également s’appuyer sur les ressources parentales pour faire face aux frais de toute nature, pour assurer leurs inscriptions, leur hébergement, leurs déplacements au bout du monde. Ceci ne leur garantit pas pour autant la réussite.Lire la suite

La compétence est un programme de conduite.

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Dans le monde du travail, on continue pourtant à la confondre avec les “savoir-faire”.

Il existe de nombreux écrits sur la compétence, mais ils ont apparemment peu d’impact sur l’usage qui est fait de la notion dans les entreprises.
A la décharge des utilisateurs (RH, RF, managers), il y  a une grande variété de définitions, ce qui ne facilite pas l’appropriation du concept. Leur caractéristique la plus commune est qu’il est extrêmement difficile d’y distinguer nettement la nature de la compétence de celle du « savoir-faire ». Quoique les auteurs veuillent à toute force la tirer vers l’opération concrète, ils ont du mal à discriminer la substance de la chose. Son acception recouvre sensiblement les mêmes objets que le savoir : des éléments de connaissance, des items techniques, des opérations en tant que telles. Elle reste en général assez loin de la construction d’un comportement contextualisé.

Papier de bonbon à la fraise.

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La formation en entreprise : archaïque poubelle magique ?

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Si certains services de formation sont très avancés, de nombreuses entreprises continuent à maltraiter leur formation et à en abuser. Extrait de l’opus II de Coups de pied aux cultes du management, en cours de rédaction.
« Vos collaborateurs ne sont pas très performants. Ils ont sûrement des lacunes. Vous devriez les envoyer en stage pour les remettre à niveau »
Idée reçue : Quand un collaborateur ne fait pas bien son travail il faut évidemment lui faire suivre une formation.

Du bourrage de fichiers dans les disques mous.

Ça tombe sous le sens : c’est d’abord et surtout à la formation qu’il appartient de développer les compétences des collaborateurs.
De très nombreux ouvrages ont été écrits sur la compétence et le rôle du management dans son développement. Mais il faut croire qu’ils étaient rédigés en martien ou que la majorité des managers et une partie des responsables RH ont soigneusement évité de les lire car cette idée reste bien ancrée, y compris dans les entreprises qui ont tenté de responsabiliser leurs managers sur ce point.
A leur décharge, il convient de remarquer que la notion de compétence reste très généralement confondue avec celle des savoirs (et au mieux des savoirs-faire).  Voir l’article suivant. 
Dans les mêmes esprits, on continue de considérer la formation comme une sorte de fourniture : il suffirait de  déverser du savoir dans les yeux et les oreilles des managés – stagiaires pour remplir leurs cerveaux de compétences.

C’est magique !

Le management envoie donc ses collaborateurs en formation comme on enverrait une personne en surpoids notable chez un nutritionniste, pour la faire maigrir de quinze kilos ; mais on aimerait y parvenir en deux jours seulement ! Comme il y a beaucoup de matières différentes à acquérir, ce genre de procédé est reproduit en toutes occasions.Lire la suite