La genèse des objectifs est pour le moins souvent malmenée. Nombre de managers sont bien en peine d’expliciter leur méthodologie pour les élaborer de façon rigoureuse. Il faut dire à leur décharge que leurs organisations ne leur fournissent pas le procès général destiné à leur conception : il n’existe pas.
Faire vraiment ce qu’on peut avec ce qu’on a.
L’objectif est une concrétisation ultime de la politique d’activité, appliquée à une période donnée. Encore faut-il qu’il y en ait une.
L’objectif est tout simplement un état précis d’un critère de performance à atteindre, à un instant précis (la notion de critère de performance fera l’objet d’un prochain article). L’objectif est concrétisé par une mesure détaillée.
Exemples :
Dans une activité de production industrielle où la performance se mesure (entre autres critères) en quantité de pièces produites, l’objectif correspondant sera formulé par un nombre N.
Dans une activité d’accueil où la performance se mesure (entre autres critères) en durée d’attente au guichet, l’objectif sera formulé en un nombre moyen de minutes, à tenir sur la semaine.
Il y aura donc naturellement un objectif affecté à chacun des critères de performance retenus.
Mais l’objectif ne sera complètement défini que s’il est également rattaché à :
L’objectif est toujours à la croisée entre, d’une part, des intentions et/ou des besoins et, d’autre part, des moyens et des contraintes.
C’est ce qu’on peut atteindre vraiment avec ce qu’on a, dans la réalité de l’environnement où on se trouve.
Sa formulation sera nécessairement dans le langage utilisé pour définir le critère de performance et dans des formes précises, factuelles, mesurables.
On sait qu’on tient un objectif satisfaisant dans sa forme quand il ne peut plus être interprété : en observant le résultat à un instant donné, tous les acteurs impliqués, disposant de la méthode, expriment la même chose pour le désigner.
L’atteinte de l’objectif ne peut pas être discutable sous peine de provoquer les effets inverses à ceux escomptés :
On peut travailler sans objectif. Il n’est pas vraiment incontournable. C’est d’ailleurs un mode de fonctionnement plutôt courant dans les systèmes institutionnels : on remplit les tâches prévues dans la mission et on fait ce qu’on peut au gré de l’évolution des ressources disponibles, on suit les aléas des revirements des injonctions politiques qui interdisent de fait de garantir la finalisation d’aucun projet.
Dans ce type de gouvernance on appelle « objectifs » des formules telles que faire ceci, réaliser cela, améliorer, rendre, etc., qui désignent la nature de la modification ou carrément de ce qu’on va faire, plutôt que l’état précis final à atteindre.
Dans tous les cas que nous avons étudiés ce n’était jamais innocent : il est toujours possible de dire qu’on a rempli l’objectif, quoiqu’il en reste, de justifier le résultat par la conjoncture … et de passer immédiatement à la déclaration d’intention suivante en reprenant les moyens initiaux.
L’objectif est à la fois un repère, un garde-fou et un engagement partagé qui permet de décliner rétroactivement la totalité des éléments du dispositif de pilotage permettant d’y conduire.
En conséquence, dans une démarche de management, il n’y aura pas un domaine d’activité sans objectif fixé pour toutes les périodes.
Cependant la conception de l’objectif est dans tous les cas une prise de risque et reste délicat car personne ne peut prédire l’avenir. C’est un pari, qui sera d’autant plus pertinent que l’étude de viabilité qui le précède aura été menée avec plus de rigueur.
L’objectif est la donnée primordiale du pilotage de l’activité de production, de l’unité et des collaborateurs. Il en découle la planification, les plans d’action, la répartition des charges, la distribution des objets de production, et pour une part essentielle l’évaluation de l’activité.
A défaut d’être managés, la définition et le soutien des objectifs tendent à se dégrader en provoquant les effets suivants :
C’est encore un aspect fondamental du rôle du manager à son niveau : il devra définir des objectifs pragmatiques, viables pour son unité en intégrant :
Il est le garant de leur pertinence et de leur opérationnalité.
Il devra également en assurer dans tous les cas :
Et pour tout ceci, il devra respecter quelques règles de base incontournables pour une conduite efficace des hommes et de son unité :
Le manager est par conséquent tenu à l’exécution de quelques tâches qui lui sont spécifiques :
faire l’étude régulière, dans le périmètre de son unité, des facteurs d’impact sur les résultats possibles et probables (orientations politiques, capacités productives, état du marché et des besoins, moyens, contraintes, etc.) :
Une tendance spontanée et très fâcheuse consiste à vouloir pondre ses objectifs tout d’un coup. Il faut “les sortir” parce que c’est la date annuelle de livraison exigée par le système. C’est un peu comme pour la période des champignons : avant il n’y en avait pas, on a trois jours pour les trouver et après c’est fini.
Les objectifs ne s’inventent pas, ne se découvrent pas par miracle derrière une feuille vierge. Il s’élaborent en continu dans l’interaction entre le réel, le vécu, les aléas des attentes supérieures, la fluctuation des moyens et les mouvements de la cible ou des récipiendaires.
La création des objectifs ne relève pas de la cueillette mais de la culture.
L’alternative est là : les définir à la louche dans une projection intuitive à partir de ce qu’on voudrait et qu’on croit possible, ou les élaborer progressivement à partir d’une prise en compte élargie et rigoureuse de toutes les données qui contribuent à leur faisabilité.
Il est donc raisonnable de profiter tout au long des périodes d’activité de toutes les occasions possibles pour recueillir et assembler ces données.
Il sera également plus efficace de répartir dans le temps et de planifier les tâches évoquées ci-dessus. L’implication de l’équipe en sera de toute façon considérablement augmentée. L’objectif est tellement important et déterminant sur la totalité de l’activité qu’il mérite un investissement plein.
Cependant il convient d’être lucide : l’objectif parfait et certain n’existe pas. Cela reste un pari sans garantie. De fait, on fait du mieux qu’on peut avec ce qu’on a et ce qu’on ne peut pas savoir par avance. En conséquence, quand le manager est allé au bout de sa réflexion, il doit s’arrêter et s’en tenir à son calcul pour ne pas risquer de faire entrer son équipe dans une fluctuation incontrôlable.
Il est vrai qu’il y a actuellement, de la part des dirigeants, une très vive tendance à forcer les objectifs en considérant qu’il faut demander l’impossible pour obtenir le plus possible. Comme si l’atteinte des objectifs était surtout affaire de bonne volonté. Ceci est une ineptie car la réalité a la peau dure et résiste à toutes les incantations.
Par contre, la motivation et l’efficacité des équipes ne résistent pas à des pressions insolubles car l’enflure des objectifs conduit irrémédiablement à disperser les énergies dans des parties de réalisations inaccessibles.
Un objectif inadéquat ou impertinent met les acteurs en grande difficulté et crée les conditions d’un échec général tout en créant une pression psychologique extrêmement éprouvante. Il est la première cause de démobilisation et de dégradation des relations professionnelles et managériales au sein de l’unité. Ceci ne pourra en aucun cas être compensé, ni par l’usage des techniques de communication, ni par une implication affective du manager.
A contrario, quand les objectifs sont adéquats, ils créent naturellement les conditions de la réussite, éliminant la pression, résorbant les sources de conflits.
Ils canalisent les énergies en valorisant l’investissement dans un travail finalement productif. C’est alors un facteur déterminant de bonne ambiance et d’une relation d’autorité apaisée et renforcée. Le cumul de la pertinence des objectifs, sur la durée, confère au manager, dans sa fonction d’autorité, une légitimité sur le fond inégalable par tout autre moyen.
C’est un gros morceau et l’exercice est périlleux. Vous serez attendu par tout le monde pour votre première fournée et vous n’aurez guère de possibilité de rattrapage. Aussi n’attendez surtout pas l’échéance pour vous y mettre : commencez à préparer votre programme dès votre arrivée même si vous ne devez produire les objectifs que dans huit mois.
Dans tous les cas suivez scrupuleusement les règles suivantes :
On pourrait développer bien d’autres aspects de la genèse des objectifs. Par exemple : la distinction entre objectifs opérationnels et objectifs tactiques, la méthodologie, la dynamique de progression, le processus vertical de consolidation et de déclinaison, les délégations de décision, l’implication des collaborateurs, etc.
Cela dit, il reste surprenant que la majorité des organisations ne forme pas ses managers à cet exercice. Comme-si c’était inné, induit par la fonction, ou évident.
Ce sont les mêmes organisations qui n’ont pas de processus d’ingénierie partagée (sauf administratif, basé sur la réédition des consommations précédentes). D’ailleurs, en amont, ce sont aussi celles qui n’ont pas la moindre politique de management.
Ce pan particulier étant absent comme les autres. Comme pour beaucoup d’autres volets de la compétence et du fonctionnement du management, il conviendrait de mettre en œuvre une démarche de progrès en trois étapes :
La formation peut avoir lieu en deux volets :
Une réponse à Pragmatique des objectifs. De la lubie à la réalité.