Toute unité est confrontée régulièrement à de très nombreux changements qui affectent son organisation, sa composition, ses moyens, ses finalités, etc. La conduite de ces changements est un des objets primordiaux de la mission du management, probablement un des plus modernes dans sa substance.
Il est fréquent que nos commanditaires, en nous demandant des apports de formation sur la « conduite du changement » pour les managers, en aient une approche anecdotique réduite au traitement des difficultés liées à un événement particulier qui bouleverse et perturbe brutalement la vie de l’entreprise (fusion, plan social, rachat, restructuration, intégration logicielle, etc.).
Ils posent alors la problématique de la conduite du changement sous l’angle d’une nécessaire prise d’influence sur les résistances du personnel. Comme si on devait les réveiller (nos managers avant leurs collaborateurs) d’une longue torpeur ancrée dans le train-train de situations stabilisées.
Dans ces cas on nous demande d’ailleurs des apports archi basiques pour ne pas dire presque enfantins, sur la théorie du changement : l’intérêt des nécessaires évolutions, la compréhension des freins ou le volontarisme dans la motivation des troupes ! C’est dire à quel point la conduite du changement semble souvent venir comme un cheveu dans la popote d’un management plutôt enclin à discipliner la redondance. C’est dire également que sans cet évènement, on n’aurait probablement jamais songé à les former sur ce sujet.
Une des faiblesses les plus profondes des politiques de management des entreprises est qu’elles ne semblent pas repérer le changement comme étant permanent et laissent pour l’essentiel leurs managers s’installer dans une identité routinière.
Pire, des organisations perdurent dans la croyance que l’adaptabilité au changement de leur corpus de management réside dans la mobilité systématique : on les mute, on les bouleverse, on les dérange, cela devrait suffire à empêcher leur sédimentation.
Mais cela signifie plutôt que la masse ordinaire des changements qui affectent ces organismes ne sont pas pilotés en tant que tels et ne sont pas non plus pilotés de conserve entre les différentes structures. Au contraire, ils sont souvent subis, ignorés, repoussés, maltraités.
La conduite du changement ne consiste pas seulement à emporter l’adhésion des personnels à des modifications lourdes de leurs situations professionnelles au moment des trous d’air, mais à gérer, au quotidien et dans la durée, l’adaptation permanente du système et des unités à l’état du monde, interne et externe.
Le changement dérange car il touche presque toujours aux habitudes de travail. C’est bien naturel car les habitudes et les usages ont le mérite d’une très grande économie : on a automatisé des comportements complexes qu’on déploie sans effort ni attention.
En changer représente un coût d’apprentissage, un surcoût futur d’activité qui perdurera tant que les automatismes n’auront pas été reconstruits, une remise en cause des habiletés dont on n’est pas certain de bien se tirer. Sans compter que le bénéfice annoncé n’a rien d’une évidence.
L’intégration du changement requiert d’abord de l’assurance et dans tous les cas un apprivoisement progressif qui n’a rien à voir avec les intentions, le courage ou l’adaptabilité. La résistance au changement est donc une réponse spontanée et d’une certaine façon assez légitime dans son ressort. De ce point de vue, le manager a donc surtout un rôle d’accompagnement et doit s’armer d’un minimum de patience.
Mais en l’occurrence son job est surtout de rendre lisible la nature exacte des écarts entre l’ancien et le nouveau, puis de tracer très concrètement les chemins à emprunter pour cette transformation. Il est toujours plus facile de se conformer à un changement dont on peut se faire une représentation complète et en disposant du mode d’emploi.
Dès qu’on touche à un des volets de l’organisation, des produits, du fonctionnement, etc., on affecte tous les autres. De la carte des activités aux critères de performance, du temps à la technique en passant par les structures ou les compétences, la plupart des constituants de l’activité sont fréquemment impactés à des degrés divers. Il appartient nécessairement au manager d’identifier, de formaliser les éléments affectés et d’instrumenter la conduite du changement dans tous ses paramètres.
Bien sûr il s’agit là d’une application à son niveau et concernant son unité. Car pour une part essentielle les changements sont engendrés par des projets qui le dépassent mais qui emportent son unité et ses équipes.
Evidement les éléments générateurs de changements surviennent n’importe quand, dans n’importe quel ordre. Leurs impacts peuvent être très diversement décalés, étendus, aléatoires. Aussi, pour les repérer et les traiter en temps réel il faudrait faire une veille permanente et maintenir en activité une sorte d’observatoire. Cela peut être concevable et souhaitable au niveau global de l’entité toute entière, mais ce n’est pas réaliste au niveau de chaque unité.
Par contre, la périodicité minimale de l’examen des facteurs de changements et de la programmation des refontes nécessaires, est logiquement calée sur celle de la révision du cycle d’activité ordinaire. Pour chaque nouvelle période, le manager devrait mettre en phase autant que possible objectifs, stratégies et conduite des changements.
L’idée est assez simple : la préparation d’une action de changement a lieu pendant une période-cycle en cours sans la perturber, le déclenchement de sa mise en œuvre réelle correspond au début de la période suivante dont le pilotage sera configuré selon les nouvelles données.
Les changements effectifs sont donc ainsi rythmés par le séquencement des périodes de pilotage.
Cette discipline de gouvernement présente des avantages importants :
S’il doit mettre en œuvre plusieurs changements dans la même période, le manager doit les articuler dans un programme de changement cohérent. Celui-ci sert de trame pour assurer la compatibilité des objectifs entre eux, arbitrer les engagements de travaux et les moyens, planifier l’intégration des travaux dans les dispositifs de production et de pilotage.
Finalement, la conduite du changement s’apparente partiellement à une gestion coordonnée de projets : participation locale à de grands projets, initiative de projets propres à l’unité.
En conséquence, pour ce qui concerne la conduite des changements, le manager peut se retrouver en positions de Maître d’Ouvrage pour des projets particuliers dont il a l’initiative dans son unité, de Maître d’œuvre délégué pour les projets de taille supérieure auxquels son unité contribue.
Sa compétence en conduite de projet est donc une composante indispensable de sa compétence en conduite du changement. Et ceci n’a rien à voir avec les options d’organisation que son entité aura pu prendre sur le statut de la dimension « projet » dans la politique de management. On verra dans un autre article ce qu’on peut comprendre des termes qui circulent autour des notions associées de projet et de management, des méthodes qui y correspondent et de leurs implications concrètes pour le manager de proximité.
Enfin, pour conduire des changements, il ne suffit pas de dicter et de mettre en place des écarts, des recommandations, des nouveaux procédés et leurs nouveaux moyens, des plannings et des attributions. Il s’agit tout autant de mettre en place des dispositions intermédiaires, des modifications progressives, des ergonomies pédagogiques, des moyens provisoires, et une multitude de ressorts très concrets qui permettent d’accompagner tous les aspects des mutations. Aussi cela exige une très grande proximité de la part du manager dans ces démarches pour apporter des réponses pragmatiques aux besoins tangibles des collaborateurs.
A défaut d’être managée la conduite du changement, tend à se dégrader en provoquant les effets suivants :
Du management dans ce domaine on attend donc que :
La conduite du changement se traduit concrètement au travers de tâches récurrentes pour le manager :
Les organismes de toute nature ont la néfaste habitude de déployer des actions de changement sans se préoccuper de les caler sur les périodes de pilotage.
Soit on se précipite pour déclencher les changements en urgence au beau milieu d’une période, en faisant exploser les stratégies en cours et au détriment des conditions de réalisation des objectifs. Soit on tarde à les engager en attendant parfois que plusieurs cycles soient achevés.
Le manager sera donc souvent contraint d’intégrer des changements de taille supérieure de façon anachronique, voire anarchique. Raison de plus pour ne pas faire de même avec ceux qui se déclenchent à son niveau.
Il est également très fréquent que les unités centrales appelées en l’occurrence assez curieusement « de soutien », bombardent les unités de terrain d’un nombre surréaliste de projets divers dans la plus totale cacophonie. Mais cela peut être encore plus bizarrement le fait des directions opérationnelles elles-mêmes ! Chacun y va de son nouveau produit, de sa belle démarche, de sa nouvelle méthode, de sa merveilleuse recette, de son formidable règlement qui va régler tous les problèmes, de son nouvel équipement qui fait aussi machine à laver et résolution des problèmes de cœur, de son calcul révolutionnaire, des formations qui vont avec, etc., etc.! Evidemment, tout ça a lieu dans des descentes aussi vertigineuses que surprenantes « en tuyaux d’orgue », sans coordination centrale, ni arbitrage et à moyens constants, voire resserrés parce qu’en même temps la DRH demande de réduire les effectifs… Et, ce faisant, le manager de terrain peut se faire copieusement sermonner dans un concert de récriminations (que lui seul peut assembler) pour ne pas avoir appliqué parfaitement ceci et cela.
Bon, c’est une pathologie banale de gouvernance des organismes d’une certaine taille où les directions fonctionnelles (et parfois assez bizarrement les sous-directions opérationnelles) ont besoin de produire des nouveautés pour justifier de leur existence parasitaire. Elles ont l’oreille toute proche des gouvernants et se gardent bien d’admettre que les acteurs du terrain, chargés de la réalisation, n’ont pas les ressources immanentes du dieu à douze bras.
Très franchement je reste pantois en constatant que personne n’envisage jamais d’y mettre de l’ordre, ni même l’once du début d’un minimum de raison en observant les effets désastreusement inévitables de cette lamentable bousculade sur les organisations, les ressources, les énergies, les motivations, les performances, et la pérennité des capacités productives.
Il est clair que le changement n’est pas mieux piloté au plus haut niveau : il n’y est bien souvent que le refrain d’une incantation au dieu de la modernité, sonnant la charge d’une sorte de fuite en avant vers la promesse de lendemains toujours plus rentables.
Sans observatoire du changement ni management centralisé des projets, ceux-ci continuent à tomber comme les averses en novembre.
Cela ne fait pas les affaires de notre manager qui doit pourtant s’y coller et faire avaler les pilules de toutes les couleurs à ses collaborateurs qui n’en pensent pas moins. Bien sûr, cela entrave aussi sa capacité à développer ses propres mutations. Les managers les mieux rodés savent subtilement repérer les divers degrés de prégnance entre les projets. Autrement dit, ils font la différence entre un projet dont l’exécution est incontournable et celui qui pourra attendre ou supporter une application partielle. De toute façon, si ce n’est pas la hiérarchie qui fait les arbitrages, c’est de fait le manager lui-même par la force des choses. Et si ce n’est pas lui, ce sera l’enchaînement irrépressible des situations qui décidera à sa place.
En cas d’encombrement, il y a forcément des abandons et des réductions qui s’opèrent. Le manager peut et doit donc pour le moins :
L’expérience montre que cette attitude exigeante provoque quelque bruit lors des premières fois où elle est appliquée, mais aussi que le bruit finit par s’éteindre progressivement quand le manager tient la rigueur de sa position. Tout accepter et faire semblant est une option finalement plus dangereuse car elle mène d’une part à se couper de son équipe et d’autre part, à plus long terme, à perdre l’estime de sa hiérarchie qui finit toujours par mesurer les déficits, y entrevoit un mensonge et doute de la puissance du manager.
En deçà des relations inter personnelles, la pertinence de la conduite du changement menée par le manager est un facteur déterminant sur l’état psychologique, l’implication et le comportement des équipes.
De toute façon, les collaborateurs subissent les évolutions de fait, quelle que soit la prise en compte qu’en a le manager. Leurs conditions de travail, leurs activités, leurs charges, leurs relations professionnelles s’en trouvent affectées et c’est loin d’être innocent pour eux.
En tardant à les reconnaître et à réagir par des adaptations, le manager amplifie des distorsions qui amplifient à leur tour la perception négative qu’ont les collaborateurs de leur propre travail : inefficacité, énergie perdue, décalages avec l’environnement, etc.
Le changement est un champ de mines qu’on ne neutralise pas en le couvrant d’un voile pudique ou en décrétant de façon angélique que ce n’est qu’un gentil terrain de jeu.
Par exemple, une pratique assez banale consiste à retarder le plus possible l’annonce des changements et, encore plus loin, l’explicitation des raisons réelles qui y présidaient. Cette prise d’attitude des dirigeants repose sur une croyance telle que si les personnels sont informés, ils vont résister, se braquer, mal interpréter les vraies raisons, etc.
C’est ce que j’appelle le syndrome de la « peur de la peur des autres ». On ne peut pas leur dire parce qu’ils vont avoir peur et ça va mal se passer !
Malheureusement, lorsqu’on cache ces démarches on provoque nécessairement des effets pervers qui sont bien plus graves, dans leurs natures et dans leurs ressorts, que ceux générés par les craintes des personnels :
Un syndrome en crée un autre : c’est la peur de la peur des autres qui génère et entretient la conviction du complot chez les personnels.
En fait, cette rétention de l’information, presque systématique dans la genèse des changements, est une pratique de rupture entre le management et les managés qui affecte en profondeur, et dans un spectre extrêmement large, les ressorts de la motivation des collaborateurs. Pire, elle suscite et cristallise un sentiment d’appartenance collective à une catégorie inférieure, mal traitée et toujours potentiellement en danger.
On peut comprendre que, dans une logique très crûment dirigiste et financière, des dirigeants évitent soigneusement de laisser entrevoir leurs intentions économiques et sociales lorsqu’ils initient des coupes sombres dans les effectifs et/ou les rémunérations. C’est leur choix et il n’est pas utile de le commenter ici. Mais il est vraiment très stupide de déguiser des intentions qui ne menacent ni les emplois ni les ressources. Finalement, quand on y regarde de plus près, on comprend que cette attitude ne vise bien souvent qu’à assouvir la satisfaction d’une position élitiste et infantilisante. C’est déplorable mais ça semble faire du bien à ceux qui s’y complaisent, dans la plus parfaite inconscience du mal que ça peut faire aux autres, ainsi qu’à l’entité.
Reconstituez l’historique des précédents changements qui ont affecté votre unité, votre département et l’entité dans son ensemble ; ça vous donnera une idée de comment ça marche et ce à quoi vous allez devoir vous adapter. N’essayez pas de changer la méthode des projets qui vous dépassent, mais ne vous laissez pas embarquer dans des emportements grandiloquents, pas plus que dans des engagements que votre hiérarchie directe n’aura pas appuyés explicitement. Par contre, pour ce qui concerne vos propres projets soyez très rigoureux, appliquez votre méthode sans trop de formalisme et commencez doucement : un projet à la fois. Quand vous aurez bien rodé votre pratique, vous pourrez augmenter le rythme de votre programmation. Enfin, n’hésitez pas à communiquer avec votre hiérarchie comme avec vos collaborateurs : il n’est pas indispensable que vous ayez tout bouclé pour aborder vos projets ; dites seulement où vous en êtes et quel est le degré d’ébauche de votre engagement.
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